
« La ville paraissait sortie de l’imagination fiévreuse d’un architecte qui aurait empilé les passés successifs de la capitale en un mille-feuille dément. Dix, vingt, trente versions de Paris semblaient avoir fondu là. »
« De nouveau, Yuri embrassa la contrée féérique et silencieuse. Lui aussi s’était préparé au pire, mais au lieu d’un chaos de glace hanté par les monstres, voilà qu’ils admiraient la splendeur cristalline des champs de neige, bordés du velours noirs des pins. »
« La peur rampa sous sa peau. Une peur bien différente de celle du monde des esprits. Il s’était toujours dit qu’il finirait emporté par un requin fantôme ou pourfendu par la corne d’os d’un narval, bref, une fin éclatante à la mesure d’un exorciste, or, ce qui se profilait à présent, c’était une mort misérable, foudroyé par la pétoire d’un voleur. »
« Sol m’a dit, bien plus tard, des années après, quand elle m’a cédé le Carthagène, que la principale qualité d’un capitaine, d’un grand capitaine, ce n’était ni la force ni le courage. Ni même une brillante vision stratégique, une connaissance étendue de l’espace, ou une endurance à toute épreuve. Non, ce qui faisait un capitaine, avant tout, c’était sa capacité à entraîner les autres dans son rêve. […] Et je l’ai suivi, même quand le rêve est devenu cauchemar. »
« Il dépassa plusieurs croisements et s’enfonça plus profondément dans les entrailles de la ville. La lampe jetait des ombres effrayantes autour de lui, mais il ne craignait pas ces mirages sombres. Il était la personne la plus à craindre dans ces tunnels, il en était conscient. »
« Archibald et le fantôme de la scientifique quittèrent donc l’ancienne église, marchant en silence. Elizabeth n’était pas une grande bavarde et Archibald n’avait pas particulièrement envie d’avoir l’air de déambuler dans les rues en se parlant à lui-même. Il arrivait parfois qu’Elizabeth s’adresse à lui mentalement, mais il n’appréciait pas vraiment d’entendre des voix. »
« Il la regarda rire, se forçant à se fixer sur ses yeux. Cette fille était la tentation incarnée… Comment faisaient-ils, tous, pour résister à la chair ? Au monastère, l’idée de s’unir pour la vie à une déesse immatérielle ne semblait pas si difficile, mais en ville, l’épreuve était insurmontable. »
« Respirer. Ne plus penser à rien. Sentir sous ses doigts le manche rugueux de la hache, planter son talon dans le sable de l’arène, fermer les yeux et attendre. Oublier le murmure de la foule, la chaleur qui montait du sol, le claquement des bannières au sommet des gradins. Se recueillir, comme pour une prière. »