
« Que peut-on dire d’Ambregris qui n’ait été déjà dit ? Le moindre quartier de la ville, si superflu qu’il paraisse, a un rôle complexe, voire équivoque, à jouer dans la vie de la communauté. Et j’ai beau me promener très souvent sur le boulevard Albumuth, l’incomparable splendeur de la cité ne cesse de se rappeler à moi, avec son amour des rituels, sa passion pour la musique, son inépuisable et magnifique cruauté »

Auteur : Jeff Vandermeer
Traduction : Gilles Goullet
Illustration (couverture) : Scott Eagle
Maison d’édition : Au Diable Vauvert
Genres : Fantasy
Année de première parution française : 2006
Nombre de pages : 640
Prix : 23 € (broché)
Synopsis
Peuplé de meurtriers, d’artistes fous, de Saints Vivants, de calmars géants intelligents ou d’étranges créatures furtives semblables à des champignons, ce livre-univers d’un Rabelais qui aurait lu Nabokov, grotesque, tragique et parfois déchirant dessine un des plus beaux portraits de ville de la littérature moderne : Ambregris, métropole tentaculaire où toutes les folies trouvent refuge.

Une structure particulière
Dradin amoureux
Vous avez dû le comprendre, à travers les 4 novellas et les annexes, le personnage principal de cet œuvre est bien la cité elle-même, Ambregris, ville-personnage aux mille facettes dont chacun des textes nous donne un aperçu différent et complémentaire.
♦
Le premier texte, Dradin amoureux, nous fait connaître l’un des évènements majeurs d’Ambregris : le festival du Calmar d’eau douce. On y suit Dradin qui est amoureux transi d’une jeune femme qu’il aperçoit de la rue à travers sa fenêtre et qui va tout faire pour l’inviter à sortir avec lui. Au cours de ses pérégrinations, on découvre Ambregris, certains de ses quartiers, ses habitants éclectiques, des saints et des fous, comme l’indique si bien le titre. La folie est bien présente dans ce premier texte, elle s’immisce peu à peu, sans qu’on s’en aperçoive jusqu’à ce qu’il ne soit trop tard. La psychologie de Dradin est tout aussi fascinante que la découverte de la ville elle-même. On ne reste pas spectateur des récits de Jeff Vandermeer, on y plonge tête la première tant les descriptions de l’auteur sont vivantes et saisissantes que ce soit celles de la ville ou celles des sentiments des personnages. Il donne une multitude de petits détails en choisissant toujours les mots justes qui s’intègrent parfaitement dans ses récits sans jamais les alourdir, offrant au contraire une grande sensorialité à son univers. L’auteur nous emmène si profondément avec lui qu’on ne voit pas la folie et l’horreur survenir avant le dernier moment et l’effet en est d’autant plus saisissant.
La peur s’insinua au plus profond de ses os, lui qui avait pourtant déjà, dans la jungle, senti la mort sur lui sans éprouver la moindre crainte, mais simplement de la douleur. La peur de la mort. La peur de l’inconnu. La peur de connaître la mort avant de boire l’amour à grands traits. Une morbidité et une curiosité maussade, mêlées à des rêves d’isolement et de désolations. Toutes ces obsessions dont l’Institut religieux était censé l’avoir guéri.
Guide Hoegbotton de l’Ambregris des Premiers temps
Si le premier texte possède une narration assez classique suivant les pérégrinations d’un personnage dans Ambregris, les trois autres sont plus étonnants dans leur structure narrative. La deuxième nouvelle, Guide Hoegbotton de l’Ambregris des Premiers temps, est comme son nom l’indique un guide, ou plutôt une sorte de brochure touristique qu’on pourrait lire afin de connaître l’histoire et la géographie d’Ambregris avant de s’y rendre. C’est un texte aussi enrichissant et instructif qu’exigeant à lire en raison des très nombreuses notes de bas de page qui le compose et qui font intégralement partie du texte (n’espérez pas les passer, il est important de les lire !). On trouve ainsi 137 notes de bas de page pour 72 pages, des notes dans lesquelles l’auteur s’adresse parfois directement au lecteur et qui sont alors très drôles. Ce deuxième texte s’éloigne de la folie pour nous présenter une facette plus mystérieuse et tragique d’Ambregris. Il nous permet une compréhension inédite et fascinante de la ville-personnage et de son histoire contribuant encore à nous donner la sensation qu’elle existe réellement. Dans ce texte, j’ai ressenti les mêmes émotions qu’à la lecture de la trilogie du Rempart Sud de l’auteur. Il y a une atmosphère commune entre les deux textes, une ressemblance dans les décors et dans le talent de l’auteur de donner une aura angoissante autour de faits mystérieux. Si vous avez apprécié cette trilogie, vous devriez être ravi par ce texte !
43. Le lecteur impatient, incapable et dépourvu de toute curiosité intellectuelle et historique devrait faire au vieil historien auteur des présentes lignes la faveur de sauter les pages suivantes pour se rendre directement au Silence (partie III). Cela s’adresse à la plupart d’entre vous, j’imagine, en cette affreuse époque moderne. Bien entendu, ces lecteurs-là étant les moins susceptibles de lire ces notes, et par conséquent les moins susceptibles d’apprécier les pages qui suivent, négligeront la présente note et s’infligeront l’ennui de l’histoire…
La transformation de Martin Lake
Le troisième texte, La transformation de Martin Lake, nous replonge au cœur de la folie. Il s’agit d’une biographie ou plutôt d’un essai de reconstitution de la vie de Martin Lake, un peintre très connu d’Ambregris. L’auteur nous raconte comment Martin Lake en est arrivé à peindre les œuvres qui l’ont rendu célèbre et qui ont découlé d’un évènement traumatique qu’il a vécu. On retrouve une nouvelle fois les fabuleuses descriptions d’Ambregris. On découvre de nouveaux quartiers de la ville, une nouvelle ambiance tantôt lumineuse et tantôt sombre et moite. Comme dans les textes précédents, Jeff Vandermeer installe une atmosphère qui devient de plus en plus étouffante au fil des pages. On finit par lire ce texte en apnée, tant la tension qui s’en dégage devient forte, Jeff Vandermeer nous emmène dans une véritable plongée dans l’horreur. J’ai été particulièrement bluffée par le talent de l’auteur pour nous faire vivre les évènements en même temps que ses personnages. Cette sensation est particulièrement marquée dans cette nouvelle tant l’évolution de la psychologie du personnage principal est juste et maîtrisée.
L’étrange cas de X
Le dernier texte du recueil est très particulier, car il s’agit du compte-rendu d’un entretien entre un psychiatre et son patient, un certain X. Contrairement aux précédents, ce texte ne met pas en avant Ambregris en tant que telle, mais montre plutôt les effets qu’elle peut avoir sur la psychologie humaine. C’est un texte très surprenant et je ne veux pas en révéler trop, car il mérite d’être découvert sans a priori. Cette nouvelle est très bien gérée par l’auteur, car elle dévoile ses clés petit à petit, et on ne sait ainsi jamais à qui on peut faire confiance. X est-il complètement fou ? Ou bien au contraire a-t-il été piégé ? Le doute est constant, jusqu’à l’étonnante révélation finale !
Les annexes
J’ai eu un véritable coup de cœur pour les 4 textes du recueil. Ils proposent chacun une vision différente et complémentaire d’Ambregris et nous emmènent réellement en voyage dans ce monde étrange et parfois terrifiant. Néanmoins, j’ai été un peu moins convaincue par les annexes dont les textes sont plus anecdotiques. Certains documents apportent des informations intéressantes pour enrichir l’univers, mais tous ne se valent pas et les annexes sont très longues. Lire des pages et des pages sur le calmar royal, c’est intéressant, mais l’auteur pousse un peu trop le concept à l’extrême, malgré son talent narratif ! De manière générale, je vous conseille plutôt de picorer dans les annexes en regardant ce qui vous intéresse plutôt que d’essayer de tout lire d’un coup comme je l’ai fait, ce qui finit par devenir indigeste. Je ne tiens pas rigueur de ce petit bémol, car La cité des saints et des fous est une expérience de lecture passionnante et je ressors impressionnée par le travail réalisé par l’auteur sur ce texte.
Conclusion

Je partirai plus sur Borne, pas familière et pas férue de New Weird mais je note! C’est un auteur qu’il faut vraiment que je découvre.
J’aimeAimé par 1 personne
Oui je pense que c’est le meilleur choix de commencer par Borne !
J’aimeJ’aime
Ca me parait intéressant, mais pas sûr que ça soit pour moi, je préfère suivre un ou plusieurs personnages, en général, les villes ne me réussissent pas ^^
J’aimeJ’aime