[Chronique] La cité des Saints et des Fous, de Jeff Vandermeer

la cité des saints et des fous

« Que peut-on dire d’Ambregris qui n’ait été déjà dit ? Le moindre quartier de la ville, si superflu qu’il paraisse, a un rôle complexe, voire équivoque, à jouer dans la vie de la communauté. Et j’ai beau me promener très souvent sur le boulevard Albumuth, l’incomparable splendeur de la cité ne cesse de se rappeler à moi, avec son amour des rituels, sa passion pour la musique, son inépuisable et magnifique cruauté »


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La Cité des Saints et des Fous
Auteur :
Jeff Vandermeer
Traduction : Gilles Goullet
Illustration (couverture) : Scott Eagle
Maison d’édition : Au Diable Vauvert
Genres : Fantasy
Année de première parution française : 2006
Nombre de pages : 640
Prix : 23 € (broché)
Synopsis
Peuplé de meurtriers, d’artistes fous, de Saints Vivants, de calmars géants intelligents ou d’étranges créatures furtives semblables à des champignons, ce livre-univers d’un Rabelais qui aurait lu Nabokov, grotesque, tragique et parfois déchirant dessine un des plus beaux portraits de ville de la littérature moderne : Ambregris, métropole tentaculaire où toutes les folies trouvent refuge.
MON avis
En 2021, les éditions Au diable Vauvert ont réédité l’une des œuvres majeures de Jeff Vandermeer, La cité des saints et des fous qui était devenue introuvable après avoir été publiée en 2006 par Calmann-Lévy.
Jeff Vandermeer est un auteur de Weird fiction et La cité des saints et des fous appartient plus précisément au New Weird, un courant que l’auteur a lui-même contribué à développer et auquel il a consacré une anthologie. D’après Wikipédia, « le new weird se définit comme étant une fiction urbaine dont le récit prend ancrage dans un univers réaliste auquel sont intégrés des éléments narratifs pouvant appartenir à la science-fiction, à la fantasy ainsi qu’à divers éléments surréalistes ou apparentés au genre de l’horreur ». Si je cite cette définition assez simpliste et limitée du genre, c’est qu’elle donne une belle idée ce qu’on peut trouver dans les pages de La cité des saints et des fous. Ce livre est une réelle expérience de lecture, dont l’ambiance est difficile à retranscrire et encore plus à imaginer de l’extérieur. La cité des saints et des fous est ainsi, comme indiqué dans la définition, un livre très ancré dans la réalité qui emmène le lecteur à la découverte d’une cité-univers, Ambregris. Dans les ruelles de la cité, la beauté côtoie l’horreur, la magie côtoie la folie, les apparences côtoient les hallucinations et les humains côtoient les champignons.
Bienvenue à Ambregris.

Une structure particulière

La cité des Saints et des fous est en réalité un recueil de 4 novellas : Dradin amoureux ; Guide Hoegbotton de l’Ambregris des Premiers temps ; La transformation de Martin Lake et L’étrange cas de X.
Ces novellas sont suivis par de très nombreuses annexes (correspondant à plus de la moitié de l’édition de 640 pages chez Au diable Vauvert) venant enrichir l’univers. On y retrouve par exemple plusieurs textes venant éclairer les évènements liés à la nouvelle L’étrange cas de X, un guide très complet sur le calmar royal, plusieurs nouvelles et un glossaire d’une soixantaine de pages sur tout ce qui a trait à l’univers d’Ambregris. Au gré de chaque partie, on trouve également de nombreuses illustrations réalisées par plusieurs artistes dont Jeff Vandermeer lui-même. La cité des Saints et des fous est donc un véritable objet-livre d’une richesse incroyable fourmillant de mille petits détails. Plus qu’une œuvre de fiction, le livre se veut être un véritable guide nous permettant de découvrir la cité d’Ambregris. Cela est d’autant plus frappant à la lecture, les textes présentant chacun une structure très différente les uns des autres. Il ne s’agit ainsi pas d’un simple recueil de nouvelles dans un même univers, La cité des Saints et des Fous ressemble plus à un essai dans lequel on aurait regroupé tous les textes connus autour d’Ambregris pour un travail de recherche. Vous comprenez donc peut-être mieux pourquoi je m’attardais dans l’introduction de cette chronique sur le réalisme de l’œuvre. On ne rentre pas dans La cité des Saints et des fous comme dans une œuvre de fiction, on y rentre pour découvrir les secrets de notre propre monde et d’une cité aussi fascinante que terrifiante.

Dradin amoureux

Vous avez dû le comprendre, à travers les 4 novellas et les annexes, le personnage principal de cet œuvre est bien la cité elle-même, Ambregris, ville-personnage aux mille facettes dont chacun des textes nous donne un aperçu différent et complémentaire.

Le premier texte, Dradin amoureux, nous fait connaître l’un des évènements majeurs d’Ambregris : le festival du Calmar d’eau douce. On y suit Dradin qui est amoureux transi d’une jeune femme qu’il aperçoit de la rue à travers sa fenêtre et qui va tout faire pour l’inviter à sortir avec lui. Au cours de ses pérégrinations, on découvre Ambregris, certains de ses quartiers, ses habitants éclectiques, des saints et des fous, comme l’indique si bien le titre. La folie est bien présente dans ce premier texte, elle s’immisce peu à peu, sans qu’on s’en aperçoive jusqu’à ce qu’il ne soit trop tard. La psychologie de Dradin est tout aussi fascinante que la découverte de la ville elle-même. On ne reste pas spectateur des récits de Jeff Vandermeer, on y plonge tête la première tant les descriptions de l’auteur sont vivantes et saisissantes que ce soit celles de la ville ou celles des sentiments des personnages. Il donne une multitude de petits détails en choisissant toujours les mots justes qui s’intègrent parfaitement dans ses récits sans jamais les alourdir, offrant au contraire une grande sensorialité à son univers. L’auteur nous emmène si profondément avec lui qu’on ne voit pas la folie et l’horreur survenir avant le dernier moment et l’effet en est d’autant plus saisissant. 

La peur s’insinua au plus profond de ses os, lui qui avait pourtant déjà, dans la jungle, senti la mort sur lui sans éprouver la moindre crainte, mais simplement de la douleur. La peur de la mort. La peur de l’inconnu. La peur de connaître la mort avant de boire l’amour à grands traits. Une morbidité et une curiosité maussade, mêlées à des rêves d’isolement et de désolations. Toutes ces obsessions dont l’Institut religieux était censé l’avoir guéri.

Guide Hoegbotton de l’Ambregris des Premiers temps

Si le premier texte possède une narration assez classique suivant les pérégrinations d’un personnage dans Ambregris, les trois autres sont plus étonnants dans leur structure narrative. La deuxième nouvelle, Guide Hoegbotton de l’Ambregris des Premiers temps, est comme son nom l’indique un guide, ou plutôt une sorte de brochure touristique qu’on pourrait lire afin de connaître l’histoire et la géographie d’Ambregris avant de s’y rendre. C’est un texte aussi enrichissant et instructif qu’exigeant à lire en raison des très nombreuses notes de bas de page qui le compose et qui font intégralement partie du texte (n’espérez pas les passer, il est important de les lire !). On trouve ainsi 137 notes de bas de page pour 72 pages, des notes dans lesquelles l’auteur s’adresse parfois directement au lecteur et qui sont alors très drôles. Ce deuxième texte s’éloigne de la folie pour nous présenter une facette plus mystérieuse et tragique d’Ambregris. Il nous permet une compréhension inédite et fascinante de la ville-personnage et de son histoire contribuant encore à nous donner la sensation qu’elle existe réellement. Dans ce texte, j’ai ressenti les mêmes émotions qu’à la lecture de la trilogie du Rempart Sud de l’auteur. Il y a une atmosphère commune entre les deux textes, une ressemblance dans les décors et dans le talent de l’auteur de donner une aura angoissante autour de faits mystérieux. Si vous avez apprécié cette trilogie, vous devriez être ravi par ce texte !

43. Le lecteur impatient, incapable et dépourvu de toute curiosité intellectuelle et historique devrait faire au vieil historien auteur des présentes lignes la faveur de sauter les pages suivantes pour se rendre directement au Silence (partie III). Cela s’adresse à la plupart d’entre vous, j’imagine, en cette affreuse époque moderne. Bien entendu, ces lecteurs-là étant les moins susceptibles de lire ces notes, et par conséquent les moins susceptibles d’apprécier les pages qui suivent, négligeront la présente note et s’infligeront l’ennui de l’histoire…

La transformation de Martin Lake

Le troisième texte, La transformation de Martin Lake, nous replonge au cœur de la folie. Il s’agit d’une biographie ou plutôt d’un essai de reconstitution de la vie de Martin Lake, un peintre très connu d’Ambregris. L’auteur nous raconte comment Martin Lake en est arrivé à peindre les œuvres qui l’ont rendu célèbre et qui ont découlé d’un évènement traumatique qu’il a vécu. On retrouve une nouvelle fois les fabuleuses descriptions d’Ambregris. On découvre de nouveaux quartiers de la ville, une nouvelle ambiance tantôt lumineuse et tantôt sombre et moite. Comme dans les textes précédents, Jeff Vandermeer installe une atmosphère qui devient de plus en plus étouffante au fil des pages. On finit par lire ce texte en apnée, tant la tension qui s’en dégage devient forte, Jeff Vandermeer nous emmène dans une véritable plongée dans l’horreur. J’ai été particulièrement bluffée par le talent de l’auteur pour nous faire vivre les évènements en même temps que ses personnages. Cette sensation est particulièrement marquée dans cette nouvelle tant l’évolution de la psychologie du personnage principal est juste et maîtrisée.

L’étrange cas de X

Le dernier texte du recueil est très particulier, car il s’agit du compte-rendu d’un entretien entre un psychiatre et son patient, un certain X. Contrairement aux précédents, ce texte ne met pas en avant Ambregris en tant que telle, mais montre plutôt les effets qu’elle peut avoir sur la psychologie humaine. C’est un texte très surprenant et je ne veux pas en révéler trop, car il mérite d’être découvert sans a priori. Cette nouvelle est très bien gérée par l’auteur, car elle dévoile ses clés petit à petit, et on ne sait ainsi jamais à qui on peut faire confiance. X est-il complètement fou ? Ou bien au contraire a-t-il été piégé ? Le doute est constant, jusqu’à l’étonnante révélation finale !

Les annexes

J’ai eu un véritable coup de cœur pour les 4 textes du recueil. Ils proposent chacun une vision différente et complémentaire d’Ambregris et nous emmènent réellement en voyage dans ce monde étrange et parfois terrifiant. Néanmoins, j’ai été un peu moins convaincue par les annexes dont les textes sont plus anecdotiques. Certains documents apportent des informations intéressantes pour enrichir l’univers, mais tous ne se valent pas et les annexes sont très longues. Lire des pages et des pages sur le calmar royal, c’est intéressant, mais l’auteur pousse un peu trop le concept à l’extrême, malgré son talent narratif ! De manière générale, je vous conseille plutôt de picorer dans les annexes en regardant ce qui vous intéresse plutôt que d’essayer de tout lire d’un coup comme je l’ai fait, ce qui finit par devenir indigeste. Je ne tiens pas rigueur de ce petit bémol, car La cité des saints et des fous est une expérience de lecture passionnante et je ressors impressionnée par le travail réalisé par l’auteur sur ce texte.


Conclusion


La cité des Saints et des fous est un recueil de 4 nouvelles agrémentées par de nombreuses annexes venant enrichir l’univers. L’auteur nous offre encore une fois un texte brillant, plein d’inventivité avec un talent de conteur fabuleux qui nous fait ressentir avec une étonnante intensité toute la moiteur de son univers, les inquiétudes de ses personnages et l’ambiance pesante qui monte crescendo. Ce recueil met avant tout en avant la ville d’Ambregris, que l’on découvre sous toutes ses facettes à travers des textes très variés sous leurs formes narratives. Amateur d’ambiances dérangeantes et très réalistes, d’expériences de lecture et de ville-personnage, ce livre est un must have. Attention tout de même, si vous ne connaissez pas encore l’auteur ou le genre de la New Weird, je vous conseille de les découvrir via un texte moins exigeant comme le merveilleux roman post-apocalyptique, Borne.
coup de coeur
Du même auteur :
– La trilogie du Rempart Sud (Annihilation ; Autorité ; Acceptation)
Borne

4 réflexions sur “[Chronique] La cité des Saints et des Fous, de Jeff Vandermeer

  1. Yuyine 25 janvier 2023 / 12 h 07 min

    Je partirai plus sur Borne, pas familière et pas férue de New Weird mais je note! C’est un auteur qu’il faut vraiment que je découvre.

    Aimé par 1 personne

  2. Shaya 29 janvier 2023 / 20 h 11 min

    Ca me parait intéressant, mais pas sûr que ça soit pour moi, je préfère suivre un ou plusieurs personnages, en général, les villes ne me réussissent pas ^^

    J’aime

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