Sometimes a book

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« Mi-éveillé, mi-rêveur, je regagnais ce domaine, arpentais ses jardins obscurs et ses statues brisées, revoyais les chiens, les lampes torches aveuglantes tenues par des ombres. Je reprenais les tunnels, à la recherche non pas de preuves accablant Cordova, mais d’une part cruciale de moi-même que j’avais malencontreusement oubliée là-bas – comme un bras, ou mon âme. »

 

Intérieur Nuit est le deuxième roman de Marisha Pessl après La physique des catastrophes également disponible aux éditions Folio. Depuis, l’autrice a également publié un roman jeunesse, Le matin de Neverworld publié chez Gallimard Jeunesse.

 

 

Intérieur Nuit est un thriller rendant hommage au cinéma d’angoisse jouant ainsi avec les notions de fiction et de réalité créant une dichotomie très bien exploitée tout au long de l’intrigue comme un fil rouge. Ainsi, Intérieur Nuit nous propose d’enquêter autour de la figure de Stanislas Cordova, un des plus grands réalisateurs de films d’horreur, un personnage autant admiré que décrié et dont les films font tant polémiques qu’ils ne se jouent plus qu’en cachette et de manière clandestine. La vie privée de Cordova voire même son existence font l’objet de toutes les rumeurs, tant le mystère est prégnant autour de sa personne. Le journaliste Scott McGrath avait déjà essayé de se frotter au personnage, y laissant ses plumes. Mais son obsession va reparaître de nombreuses années plus tard lorsqu’on apprend le suicide de la fille du réalisateur. 

 

Intérieur Nuit est un thriller très original renouvelant intelligemment le genre. Il n’est tout d’abord pas questions de meurtres ici, et le roman ne nous emmène donc pas dans une énième enquête criminelle. Le fil de l’intrigue est plus subtil, jouant sur les rumeurs, les secrets de famille et surtout sur la différence entre vie publique et vie privée. Ne nous sommes pas tous un jour demandé, ce qui se cachait dans la vie privée des personnes publiques ? La curiosité n’est-elle pas encore plus présente lorsqu’il est question d’un réalisateur de films d’horreur autour duquel les drames semblent s’accumuler ? Peut-on être sain d’esprit pour développer des œuvres aussi effrayantes ? Le suicide d’un enfant ne prouve-t-il pas d’un disfonctionnement dans la sphère privée ? Marisha Pessl nous attire avec ces questionnements un peu malsains, mais très efficaces et réussit surtout à nous captiver dès les premières pages grâce à l’ambiance mystérieuse à souhait qu’elle installe. Elle donne à la figure de Cordova un côté impalpable d’un réalisme fou à tel point qu’on finit par l’imaginer comme une ombre intimidante voire effrayante qui plane tout autour des personnages. Il n’en faut pas plus pour que l’obsession des personnages pour Cordova devienne communicative et qu’on s’embarque dans les 850 pages du récit en retenant son souffle. 

 

Ainsi, le roman s’appuie beaucoup sur le mystère et une certaine forme d’angoisse pour construire son ambiance, malgré tout, je ne considère pas qu’il s’agisse d’un roman d’horreur. Le récit ne cherche pas à être horrifique même si la tension s’accentue au fur et à mesure jusqu’à atteindre son apogée dans une scène nous immergeant dans les décors de films d’horreur. Si cette scène peut être effrayante, car elle nous emmène littéralement à l’intérieur d’un film d’horreur, elle constitue surtout un hommage très réussi au cinéma d’horreur reprenant ses codes et jouant encore une fois avec fiction et réalité. De plus, sachez qu’Intérieur Nuit est un thriller assez soft. Si vous n’aimez pas les récits trop gores ou trop violents, vous pouvez le lire sans problème.  

 

 

Le roman suit donc un trio de personnages un peu mal assorti, ce qui les rend terriblement attachants. On y suit donc le journaliste Scott McGrath qui se retrouve bien malgré lui à faire équipe avec Nora et Hopper, deux jeunes un peu perdus qui se sont tous les deux retrouvés liés à la fille de Cordova avant son suicide. Les personnages sont l’un des gros points forts du roman et ne ressemblent pas aux personnages qu’on retrouve classiquement dans les thrillers. S’ils possèdent bien certains traits de caractère classiques, ils sont construits avec finesse et ne tombent jamais dans la caricature. L’autrice ne les développe pas en les définissant via un défaut ou une situation (exemple : le flic alcoolique/divorcé au cœur brisé), mais plutôt via leurs actes. Ainsi ils m’ont semblé plus simples et plus réalistes que ce dont j’ai l’habitude en thriller, ce qui accentue le caractère immersif du récit.

 

L’autrice utilise également un procédé que j’ai trouvé génial pour gagner encore en réalisme : des documents complets sont disposés tout au long du roman. Ainsi, on trouve de nombreuses pages correspondant à des articles de journaux, des mails, des pages de sites internet, des rapports de police… Cela nous permet d’avoir absolument tous les éléments en détail pour mener notre enquête aux côtés des personnages. On sent toute la minutie qu’a mis Marisha Pessl pour construire une intrigue complexe possédant de nombreux fils qu’elle relie petit à petit. Ainsi Intérieur Nuit est un véritable page turner qui n’a de cesse d’introduire de nouveaux rebondissements et de nouveaux mystères. Si c’est un roman assez long et dense, chaque page est utile et fait avancer l’enquête, on ne s’ennuie jamais, l’intrigue n’est jamais répétitive, elle est au contraire captivante de bout en bout.

 

Et si l’autrice a construit une intrigue complexe, elle fait encore plus fort dans son dénouement en proposant deux interprétations différentes qui peuvent toutes les deux tout aussi bien convenir. Jusque dans son final, elle joue sur la différence entre fiction et réalité proposant une interprétation rationnelle et une autre plus ésotérique. Selon celle que vous choisissez, ce livre peut même se retrouver à la limite des littératures de l’imaginaire puisqu’il est question de magie et de rituels. Pour les plus rationnels d’entre nous qui ne se satisferaient pas de ce genre d’explication, Marisha Pessl propose aussi une vision plus réaliste et tout aussi crédible. La fin ouverte qui ne permet pas de trancher entre les deux interprétations pourraient tout de même déplaire aux plus indécis et donner une impression de « tout ça pour ça. Personnellement, je trouve qu’il est, au contraire, impressionnant d’avoir réussi à rassembler toutes les pièces du puzzle de deux manières différentes. Marisha Pessl a réellement construit cette intrigue avec beaucoup de talent et de minutie et je ne manquerai pas de suivre ses prochains écrits.  

 

Intérieur Nuit est un thriller à l’ambiance mystérieuse captivante rendant hommage avec beaucoup de finesse et d’intelligence au cinéma d’angoisse. Accompagné d’un trio de personnages très attachant et jamais caricatural, le lecteur est plongé dans les secrets d’un étrange et angoissant réalisateur de films d’horreur. Marisha Pessl joue tout le long du roman avec la fiction et la réalité, allant même jusqu’à proposer deux interprétations différentes à son récit, l’une réaliste et l’autre plus ésotérique. Elle réussit ainsi le tour de force de rassembler toutes les pièces du puzzle en deux fins différentes et il ne tiendra qu’à vous de choisir celle qui vous convient le plus !