
June Hayward et Athena Liu ont étudié ensemble à Yale, ont déménagé à Washington après avoir obtenu leur diplôme et sont toutes les deux écrivaines, mais les similitudes s’arrêtent là. Athena est une étoile montante de la littérature, et June n’est personne. Après tout, qui s’intéresse de nos jours aux histoires d’une fille blanche aussi banale qu’elle ?
Lorsqu’elle assiste à la mort d’Athena dans un accident invraisemblable, June agit donc sans réfléchir et vole le manuscrit que son amie et rivale vient de terminer – un roman sur les contributions méconnues du corps des travailleurs chinois pendant la Première Guerre mondiale. Et si June corrigeait le récit et l’envoyait à son agent comme s’il s’agissait de son propre travail ? Et si elle adoptait le nom de Juniper Song et jouait sur l’ambiguïté de son origine ethnique ? Quelle qu’en soit l’autrice, ce morceau d’histoire ne mérite-t-il pas d’être raconté ?
Mais June ne peut échapper à l’ombre d’Athena, et des révélations menacent de faire s’écrouler son succès volé. Jusqu’où sera-t-elle prête à aller pour protéger son secret ?

Yellowface est un livre un peu à part dans la bibliographie de Rebecca F. Kuang. L’autrice s’éloigne en effet de ses univers imaginaire et de fantasy pour nous proposer ici une satire bien actuelle sur le monde de l’édition et le racisme systémique lié à ce milieu.
Le roman suit June, une jeune autrice qui, depuis la fin de ses études à Yale, tente désespérément de se faire une place dans le milieu littéraire sans jamais connaître le succès espéré. C’est avec une pointe d’envie et de jalousie qu’elle observe la fulgurante ascension d’Athena Liu, ancienne camarade de promotion devenue étoile montante de la scène littéraire. Lors d’une soirée célébrant un nouveau triomphe d’Athena, un tragique accident survient sous les yeux de June. Saisie par l’occasion, elle dérobe le manuscrit inachevé de son amie, et décide de le retravailler puis de le publier sous son propre nom. Une décision qui la propulse soudain vers la gloire… avant de la précipiter dans une vertigineuse descente aux enfers.
Yellowface est un roman que j’ai trouvé profondément addictif. Pourtant l’intrigue est simple et si on peut aisément en deviner les contours, on se laisse happer par le tourbillon infernal dans lequel se retrouve June. Rebecca F. Kuang maîtrise bien la psychologie de son personnage que l’on voit s’enfoncer de plus en plus dans son propre piège et dans sa course à la reconnaissance. Le roman ne tombe jamais dans la caricature, mais nous présente les failles d’un personnage bien humain qui sous l’influence de plusieurs facteurs va commettre une erreur et s’enfoncer de plus en plus loin dans le mensonge. S’en suit alors de nombreuses émotions de la délectation au doute, de l’obsession à la paranoïa. L’autrice nous montre ainsi parfaitement les conséquences d’un mauvais choix associé à l’intransigeance de la société et des réseaux sociaux et au monde cruel de l’édition.
Si le propos de Yellowface frappe de manière aussi percutante, c’est que Rebecca F. Kuang ne tombe jamais dans le manichéisme. Les personnages sont tous gris, le personnage d’Athena n’est pas glorifié et June, malgré son statut d’anti-héroïne agaçante, reste une humaine qui fait des erreurs graves, mais se fait aussi piéger par un système éditorial et médiatique toxique. Le propos sur l’édition est très pertinent en nous plongeant au sein des dynamiques de pouvoir, d’appropriation culturelle et d’éthique dans ce milieu. La question du racisme systémique m’a également surprise par son traitement nuancé. Rebecca F. Kuang confronte de nombreux points de vue sur ces questions, montre différentes formes de racismes, interroge sur les sensitivity readers, les récits ownvoice et la légitimité, sans s’arrêter uniquement à l’origine ou la couleur de la peau.
Beaucoup de lecteurs ont été déçue de la fin du roman, et si le trait y est effectivement forcé, elle met en exergue un véritable basculement dans la psychologie de June donnant une saveur tragique au dénouement alors même que la jeune femme se rapprochait de la rédemption, mais se laisse finalement consumer par l’orgueil et la rancœur. Le récit se termine ainsi comme un couperet, on assiste à un point de non retour où l’heure n’est plus aux excuses et la pitié, et qui fait résonner de manière encore plus forte la critique sur le monde de l’édition.
Au final, Yellowface est une lecture percutante qui pousse à réfléchir sur l’ambition, l’éthique et le racisme systémique dans le milieu de l’édition où le succès se paie parfois au prix fort. Si le roman reste simple en termes d’intrigue et d’écriture, le propos intelligent et nuancé et la descente aux enfers psychologiques très bien maîtrisée de l’anti-héroïne captivent et nous forcent à tourner les pages jusqu’au dénouement qui tombe comme un couperet.

Roman reçu dans le cadre d’un service de presse
D’autres avis : Tachan – Adopt a librarian

Yellowface
Autrice : Rebecca F. Kuang
Traduction : Michel Pagel
Maison d’édition : De Saxus
Genre : Thriller
Publication française : 2 mai 2024
Nombre de pages : 347 pages
Prix : 26,90 € (relié) / 18,90 (broché) / 8,40 € (poche)

Merci pour le lien !
Le sujet vaut en effet le coup d’être traité et dénoncé mais on m’en avait tellement parlé que je m’attendais vraiment à une écriture avec plus de relief et j’ai été déçue de ce côté là…
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J’ai l’habitude de lire des thrillers beaucoup plus mal écrit que ça 😂 donc pour le genre ça ne m’a pas gênée
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Ça doit être ce qui m’a manqué lol La connaissance d’autres thrillers plus mauvais xD
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Il y a une composante Imaginaire dedans ? A la lecture de ta chronique, je doute ^^’.
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Non pas d’imaginaire dedans !
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Merci pour la réponse (fulgurante) !
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