Sometimes a book

Un père et son fils traversent l’Argentine par la route, comme en fuite. Où vont-ils ? À qui cherchent-ils à échapper ? Le petit garçon s’appelle Gaspar. Sa mère a disparu dans des circonstances étranges. Comme son père, Gaspar a hérité d’un terrible don : il est destiné à devenir médium pour le compte d’une mystérieuse société secrète qui entre en contact avec les Ténèbres pour percer les mystères de la vie éternelle.

Difficile de passer à côté de ce roman qui a remporté de nombreux prix et a bluffé bon nombre de lecteurs. Après tout le monde, je me suis lancée dans ce roman fantastique aux accents horrifiques, pour découvrir la relation si particulière entre ce père et son fils et pour comprendre à mon tour à quel point ce récit peut être profondément marquant.

Notre part de nuit n’est pas un roman simple à décrire. C’est un roman sans chapitre qui se lit en retenant son souffle, en découvrant dans chacune des parties la voix d’un personnage. Et cela commence par Juan, ce père de famille prêt à tout pour protéger son fils, Gaspard, d’une puissante secte qui veut faire de lui leur nouveau médium. La relation complexe entre Juan et son fils est le cœur de ce roman à la fois intimiste, profond et profondément sombre. Tout au long du récit, la relation entre Juan et Gaspard oscille entre amour inconditionnel et violence brute. Mariana Enriquez nous fait ainsi ressentir avec une justesse bluffante la profondeur des traumatismes de Juan, sa peur que son fils soit instrumenté comme il l’a été lui-même, son refus et son impossibilité à dire la vérité et à donner les explications qu’on attend. Le roman nous maintient ainsi en apnée, distillant son histoire sombre et brutale sans concession et sans jamais tout révéler grâce à son habile construction navigant d’un point de vue et d’une époque à l’autre et jouant avec les modes de narration. Le roman ne souffre donc d’aucune prévisibilité et nous offre plusieurs scènes d’une puissance infinie qui resteront très longtemps gravées dans ma mémoire. 

Pour revenir à la relation entre Juan et Gaspard puisqu’elle est le cœur du récit, elle est à la fois belle, dérangeante,  mais aussi souvent malsaine. Rien n’est simple dans ce récit et encore moins les relations entre les différents personnages qui sont changeantes, vacillantes, toujours défaillantes, mais aussi profondément humaines. J’ai adoré l’aura que dégage le personnage de Juan, la manière dont il influence tous les personnages et dont il hante chaque page de ce roman. Malgré la noirceur de ce personnage, il m’a fasciné autant dans chacun de ses actes que de ses non-dits et dans sa personnalité torturée. Un autre aspect fascinant de ce récit est l’évolution de Gaspard et les conséquences que les actes de son père ont eu sur lui. Quand vient son point de vue, on se retrouve spectateur de ses propres déchirures et de la manière dont il va essayer de se (re)construire. Mariana Enriquez ne nous donne pas un récit édulcoré, mais nous relate avec justesse la brutalité de la vie sans épargner ses personnages de violence physique et psychologique. Malgré tout, l’autrice ne tombe jamais dans la surenchère, mais délivre un récit terriblement juste et finalement très touchant en délivrant de manière authentique et sincère la voix de chaque personnage. 

Outre la réussite totale du récit du point de vue de la construction des personnages, Notre part de nuit est également un roman à l’ambiance saisissante, un véritable roman d’horreur qui nous plonge dans l’Histoire de l’Argentine à partir des années 1960. Mariana Enriquez se sert à la perfection de l’Histoire mouvementée de son pays pour construire son atmosphère sombre et violente. En nous immergeant dans différents milieux, elle nous dresse un véritable portrait de l’Argentine qui donne un relief supplémentaire à l’intrigue. De plus, cette part historique donne à l’intrigue un aspect réaliste au possible qui vient exacerber la brutalité, mais aussi le côté terrifiant des éléments surnaturels qui sont introduits. L’intrigue nous immerge ainsi dans le monde de l’occulte en nous intégrant au cœur d’une société secrète dont le but est d’entrer en contact avec les Ténèbres. La frontière entre notre monde et l’au-delà est fine dans ce roman qui nous offre la scène de maison hantée la plus terrifiante que j’ai pu lire.  

Notre part de nuit est donc un roman d’une infinie richesse et est une réussite à tous les points de vue. La violence sous-jacente à l’intrigue et notamment dans les relations intrafamiliales n’en fait pas un roman qui plaira à tout le monde, mais il brille de justesse dans la manière dont il dépeint les esprits torturés des différents personnages. Son atmosphère macabre ainsi que la plongée dans les mondes occultes et la fresque historique sur  l’Argentine des années 60 à 90 qu’il propose en font un roman complètement abouti et bluffant. Une histoire comme on en lit peu. 

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