[Chronique] La fille qui se noie, de Caitlin R. Kiernan

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la fille qui se noie
 
India Morgan Phelps, dite Imp, veut écrire une histoire de fantômes, avec une sirène et un loup. Involontaire disciple de Jean Cocteau, elle a compris instinctivement, très jeune, que « Le poète est un mensonge qui dit toujours la vérité. »
Cette jeune femme remarquable, mais mise à l’épreuve par la vie – sa grand-mère maternelle s’est suicidée, sa mère s’est suicidée – écrit un récit à nul autre pareil, qui oscille entre le journal intime et l’histoire de fantômes. Peu à peu s’élabore un véritable labyrinthe littéraire, dans lequel on rencontrera une sirène, une louve sans défense et enfin, Eva… Une femme qui évoque le modèle d’un tableau datant de 1898 et fascine Imp depuis son enfance.

Mais qui était Eva ? Quelle a été sa vie ?

MON avis

Repris une première fois en français par les éditions Panini en 2014, La fille qui se noie a été réédité en 2023 par Albin Michel Imaginaire, de quoi ajouter un nouvel ovni dans leur bibliographie. Car La fille qui se noie est une véritable expérience littéraire dans laquelle chacun y trouvera quelque chose de différent. Voilà une histoire auxquels certains ne trouveront peut-être pas de sens, quand d’autres seront happés par India Morgan et ses histoires de fantômes, de sirène et de loup. 

Dans La fille qui se noie, Caitlin R. Kiernan revisite les histoires de fantômes de manière subtile et intimiste jouant à nous perdre dans la psyché perturbée de son personnage principal India, une jeune femme qui souffre de schizophrénie. Car India est la narratrice de cette histoire et ce roman est en quelque sorte son journal. La forme de la narration est ainsi à l’image de sa narratrice, ni structurée ni fiable. India nous raconte ce qu’elle souhaite, tombant souvent dans des digressions symbole de son déni face aux évènements qui la bouleverse. India s’arrange également avec la réalité comme elle l’avoue quelque fois. Ses inexactitudes avouées à demi-mot sont avant tout des mensonges qu’elle se fait à elle-même, jouant avec la réalité pour la faire davantage correspondre à ce qu’elle aurait voulu vivre. Et à ce titre Caitlin R. Kiernan propose un texte fort et habilement construit, un vrai roman fantastique comme on en voit peu, qui ne nous donne pas les clés pour démêler le vrai du faux. Les fantômes de cette histoire ne sont-ils qu’une métaphore de la maladie mentale d’India ou sont-ils réels ? La réponse se trouve sûrement entre les deux, mais le choix de l’interprétation est laissé au lecteur. 

Mon histoire est pleine de moments significatifs dont l’importance ne m’apparaîtrait que plus tard, avec le recul. Peut-être en est-il toujours ainsi. Je ne peux pas me prononcer, puisqu’en matière de hantise, c’est mon unique expérience. La seule observation à ma disposition. Par ailleurs, je tiens à souligner que mon histoire de fantômes est bien plus complexe que celles qu’on lit ou qu’on échange autour d’un feu de camp. Je n’ai pas soudain ressenti un frisson glacé inexplicable dans une pièce. Je ne me suis pas réveillée au son d’un cliquetis de chaîne ou de gémissements. Je n’ai pas été horrifiée par une vision ectoplasmique d’une femme qui flottait le long d’un couloir. Ces caricatures ont été inventées par des gens qui n’ont jamais souffert (ou eu l’honneur) d’une hantise bien réelle, factuelle. De cela, je n’ai aucun doute. 

J’ai été fascinée par la psychologie d’India. Caitlin R. Kiernan prend le pari risqué de nous placer dans la tête d’une personne ayant une maladie mentale, ce qu’elle réussit à faire avec beaucoup d’humilité et de finesse. La forme du roman évolue parfaitement en fonction de l’état psychologique d’India, ce qui permet de nous offrir en permanence un sous-texte à décrypter en plus de l’intrigue en elle-même. De ce récit protéiforme, il en ressort une lecture parfois hachée, déstructurée par les nombreuses digressions de son personnage principal et pas toujours évidente à suivre. L’état mental d’India, ses décompensations, ses troubles compulsifs, ses obsessions et ses états d’euphorie, mais aussi les relations complexes qu’elle entretient avec son entourage sont le sujet réel de ce roman. Et derrière la maladie mentale, on découvre une jeune femme sensible, touchante et avec une véritable âme d’artiste qui détruit tous les clichés que l’on pourrait avoir sur la schizophrénie. 

En plus de la finesse avec laquelle le roman traite du sujet de la maladie mentale, il aborde également de manière très juste et originale la thématique de la hantise. Les fantômes qui parsèment ce récit sont plus tangibles que tout ce que l’on peut imaginer. Caitlin R. Kiernan, sous le prisme d’une histoire empreint de fantastique, nous parle d’un sentiment universel, de tous les fantômes qui nous poursuivent inlassablement. Les fantômes d’India tout comme le loup et la sirène qu’elle décrit dans son histoire sont des métaphores subtiles de l’évolution de son état mental. Mais, même sans souffrir de ces problématiques, on se surprend à reconnaître les sentiments qu’elle évoque. Caitlin R. Kiernan réussit ainsi à créer une véritable intimité avec ce personnage d’India, rendant l’ambiance du roman aussi déroutante que saisissante. Elle nous livre finalement un roman poignant, qui se débarrasse de tous les clichés possibles pour ne garder qu’une rare authenticité au service d’une lutte féroce pour la liberté.  

La fille qui se noie est ainsi une véritable expérience de lecture qui n’est pas forcément facile à appréhender, mais qui offre une plongée fascinante et surtout très juste dans la psyché d’une jeune femme atteinte de schizophrénie. Si vous n’avez pas peur de remuer vos propres fantômes, n’hésitez pas à partir avec India dans cette quête difficile vers la liberté. 

petit coup de coeur
Livre reçu dans le cadre d’un partenariat non rémunéré avec les éditions Albin Michel Imaginaire que je remercie !
 

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La fille qui se noie
Autrice :
Caitlin R. Kiernan
Traduction : Benoît Domis
Couverture : Aurélien Police
Maison d’édition : Albin Michel Imaginaire
Genres : Fantastique
Date de republication française : 11 octobre 2023
Nombre de pages
Prix : 22,90 € (broché) / 11,99 € (numérique)

10 réflexions sur “[Chronique] La fille qui se noie, de Caitlin R. Kiernan

  1. tampopo24 15 novembre 2023 / 7 h 03 min

    Fascination partagée pour cette plume et ce personnage. Tu décris à merveille ce que j’ai ressenti à la lecture 💔

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  2. Lutin82 19 novembre 2023 / 20 h 47 min

    AH! mais ce titre me bloque! J’ai besoin que de positif ces temps-ci, et avec cette couverture terne, malgré les retours convaincants, je en me vois pas le lire.

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  3. Shaya 3 décembre 2023 / 12 h 26 min

    Il est dans ma wish-list celui-ci, je pense qu’il va me plaire !

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  4. Les paravers de Millina 1 Mai 2024 / 21 h 27 min

    J’ai lu les premières lignes de ton avis et je me suis dit, ce n’est pas pour moi. Puis la suite m’a fait révisé ce jugement hatif. J’avais lu quelque chose de décousu écrit par un schizophrène et j’avais eu tellement de mal. Alors j’avoue que l’idée de départ m’a fait peur, puis tes mots et le personnage d’India qui a l’air touchant me fait dire « pourquoi pas »…

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    • Sometimes a book 3 Mai 2024 / 17 h 46 min

      Ah c’est un livre vraiment particulier, si tu as du mal à être dans le tête de personne avec un trouble, c’est compliqué car là aussi c’est parfois très décousu !

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