[Chronique] Kra : Dar Duchesne dans les ruines de l’Ymr, de John Crowley

Kra
 
« Oiseau de mort. Memento mori, comme l’appelait parfois le Frère dans l’autre langue, la langue spéciale. Mais c’était eux, les Humains, qui s’intéressaient à la mort. Ce que voulait une Corneille, c’était vivre : elle le voulait dans un repli si profond de son être qu’on ne pouvait ni le trouver, ni le nommer, ni en parler. »


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Kra : Dar Duchesne dans les ruines de l’Ymr
Auteur :
John Crowley
Traduction : Patrick Couton
Illustration : Sonia Chaghatzbanian et Melody Newcomb
Éditeur : L’atalante
Genre : Fantasy 
Date de parution :  20 août 2020
Nombre de pages : 505
Prix : 25,90 € 
 
Synopsis
Une corneille seule n’est pas une corneille.
Une corneille ne tue jamais une autre corneille.
Dans un futur proche ravagé par la pollution, un vieil homme nous raconte qu’une Corneille nommée Dar Duchesne – la première de tous les temps à avoir porté un nom – lui a raconté ses nombreuses vies et morts au pays de Kra…
 

MON avis

Kra était un des romans que j’attendais le plus en 2020. J’avais donc des attentes assez élevées et si j’ai été un peu déçue que ça ne soit pas le coup de cœur attendu, c’est une expérience de lecture très riche et originale qui offre de belles réflexions. Le roman est préfacé par Patrick Gyger, préface que je vous conseille peut-être de lire après le roman. J’ai fait l’erreur de la lire avant et c’est peut-être la raison pour laquelle le roman m’aura fait moins d’effet, ayant été spoilée concernant les thématiques principales de l’histoire. Le roman possède également quelques illustrations qui enrichissement magnifiquement ce texte. 

Voyage dans l’œil d’une Corneille

Avant toute chose, on peut dire que Kra est un ovni littéraire. Je l’ai vu classé comme de la fantasy sur certains sites, mais honnêtement, j’ai du mal à vraiment le considérer comme tel. Kra nous emmène dans un voyage à travers les époques de notre propre monde dans les yeux d’une corneille immortelle mêlant donc des éléments fantastiques et de science-fiction. Roman aussi inclassable qu’original, ce roman nous offre une histoire assez contemplative dans un style exigeant. Mais si le style est exigeant et travaillé, il reste fluide et accessible. La plume très poétique de John Crowley offre de nombreux passages particulièrement saisissants sans pour autant que le langage soit alambiqué et le propos inaccessible, bien au contraire.

Kra nous emmène dans l’intimité de la vie des corneilles et plus particulièrement de celle de Dar Duchesne, donnant parfois l’impression de lire un documentaire animalier tant l’auteur semble avoir des connaissances sur le sujet. Le roman oscille ainsi entre passages tranches de vie et passages teintés de fantastique répartis dans 4 grandes parties représentant chacune une période particulière de l’humanité. Dar Duchesne est une corneille qui, très vite, découvre et s’intéresse aux humains. Il apprend à communiquer avec eux et essaye de comprendre leurs traditions. Si la corneille côtoie les humains et a sa propre réflexion sur la nature humaine, elle n’est jamais pour autant humanisée. L’auteur ne tombe pas dans un anthropomorphisme malvenu, si Dar Duchesne possède des facultés plutôt extraordinaires, il reste une corneille et agit comme telle. Son mode de pensée ne ressemble pas à celui d’un humain et ses actions sont souvent dictés par sa nature de corneille et par la vie en communauté avec les autres corneilles. En cela, Kra est une lecture bien particulière puisqu’elle nous permet d’observer l’humanité d’un tout autre point de vue. C’est tout aussi déstabilisant que passionnant que d’avoir une corneille comme personnage principal. Dar Duchesne est un merveilleux personnage qui nous permet de voyager dans un monde extrêmement riche puisqu’on découvre à la fois l’histoire des corneilles et celle de l’humanité. 

Questionnements sur la mort 

Si Dar Duchesne se prend un vif intérêt pour les traditions humaines, celles qui l’intriguent le plus sont celles liées à la mort. La corneille, cet « oiseau de mort », comme on l’appelle, a bien du mal à comprendre la notion même de mort et l’intérêt que portent les humains pour les cadavres et les rites mortuaires. A chaque époque, les traditions liées à la mort se modifient et le statut des corneilles s’en retrouve lui aussi changé. Parfois vénérées, parfois chassées, les relations entre les humains et les corneilles évoluent énormément à travers les siècles. Je ne serais pas honnête si je disais que toutes les parties m’ont autant intéressée. Si la dernière partie est tout simplement passionnante, j’ai trouvé beaucoup plus de longueurs dans la troisième partie. Il faut dire que cette partie tourne énormément autour de la chasse aux corneilles et que j’ai un peu de mal à trouver du plaisir de lire des scènes où les humains tuent d’autres êtres vivants. Cela reste donc vraiment personnel et je ne doute pas que ces passages que j’ai trouvé longs plairont à d’autres lecteurs. Globalement, le récit reste quand même assez lent et souffre de quelques répétitions. Dar Duchesne a parfois tendance à se remémorer des souvenirs du passé que l’on connaît déjà, ce qui n’était pour moi pas toujours utile même si cela permet le développement du personnage. 

Mais revenons à la thématique principale du roman, celui de la mort. Avec un thème pareil, on peut craindre à un récit adoptant un ton sombre et déprimant et pourtant il n’en est rien. Au contraire, pour John Crowley la mort ressemble plutôt à un cadeau et c’est plutôt la quête de l’immortalité comme désir ultime qu’il dénonce. A travers les différents rites et les voyages de la corneille dans le pays des morts, la mort est mise sur un piédestal. L’auteur traite ainsi le sujet avec beaucoup d’intelligence et nous offre finalement une belle ode à la vie à travers un récit infiniment riche porté par un personnage principal définitivement marquant. 


Conclusion


Kra est un récit aussi original qu’inclassable qui nous conte l’histoire de l’humanité à travers les yeux d’une corneille. Cet incroyable personnage principal nous offre une intrigue extrêmement riche mêlant des passages très instructifs sur le mode de vie des corneilles et des passages teintés de fantastique nous emmenant jusqu’au royaume des morts. Le rythme lent et contemplatif ne plaira pas à tous les lecteurs, mais Kra reste un roman très réussi offrant une belle réflexion sur la mort sans jamais tomber dans un ton sombre et déprimant. 

TB lecture

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8 réflexions sur “[Chronique] Kra : Dar Duchesne dans les ruines de l’Ymr, de John Crowley

  1. Baroona 6 février 2021 / 16 h 59 min

    « L’auteur traite ainsi le sujet avec beaucoup d’intelligence et nous offre finalement une belle ode à la vie » : exactement, c’est autant un roman sur la vie que sur la mort finalement, l’un n’allant pas sans l’autre.
    Content que tu aies apprécié même si ça n’a pas été le coup de cœur – je crois que j’ai juste survolé la préface de mon côté, ouf. ^^ C’est à la fois un roman très particulier et tout à fait accessible, quel beau travail de la part de l’auteur.

    Aimé par 1 personne

    • Sometimes a book 6 février 2021 / 20 h 28 min

      Ah oui tu as bien fait d’avoir survolé la préface ! Mais oui on est tout à fait d’accord, même si ce n’est pas un coup de cœur pour moi c’est vraiment un roman dont je vais me souvenir !

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  2. OmbreBones 6 février 2021 / 20 h 31 min

    Bon je suis vraiment curieuse sur ce titre il faudra que je saute le pas 🙂 merci pour ta chronique passionnante !

    Aimé par 1 personne

  3. Shaya 9 février 2021 / 23 h 09 min

    A la fois très envie de le lire et beaucoup d’appréhension, la thématique de la mort me fait peur.

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  4. Tigger Lilly 22 avril 2021 / 20 h 28 min

    Ha mais, merci de me rappeler qu’il y contient une préface ce livre. J’avais commencé à la lire, en commençant le livre par le début, sage lectrice que je suis, elle m’est tombée des mains, je l’ai passée et en me disant que je reviendrais dessus quand j’aurais fini… ce que j’ai complètement oublié de faire évidemment. Bref, je prends le livre avec moi dans mon lit ce soir pour la lire :p

    C’est très vrai que ce que tu dis sur le fait que le livre n’est en rien déprimant et au final une ode à la vie.

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